[ADAPTATION] Le territoire d'Ambert Livradois Forez face à un hiver sans eau

La sécheresse et la canicule du printemps et de l’été 2022 ont frappé de plein fouet l’ensemble du territoire français plaçant de nombreux départements en restriction d’usage de l’eau. « Le château d’eau de la France », l’Auvergne, n’a pas été épargnée. La Communauté de communes d’Ambert Livradois Forez a dû faire face à des ruptures d’approvisionnement sur son réseau d’eau potable quelques mois plus tard, en plein cœur de l’hiver 2023. L’eau potable a été acheminée par des camions citerne vers plusieurs villages. Un plan d’action a été travaillé avec la Préfecture, qui pourrait préfigurer un plan d’adaptation. Pour prévenir d’autres situations de crise, et faire face aux conséquences du changement climatique, la collectivité peut s’appuyer sur les outils de planification tels que le SAGE pour préserver la ressource.

À propos du territoire

La Communauté de communes d’Ambert Livradois Forez est une collectivité récente. Elle est née de la fusion de plusieurs communautés de communes le 1er janvier 2017. Elle regroupe sept anciennes communautés de communes et deux syndicats (SIVOM d’Ambert et le Syndicat mixte des activités de pleine nature Ambert-Crêtes du Forez).

D'une superficie de 1700 km2, l'intercommunalité regroupe 58 communes et compte 27 563 habitants (au 1er janvier 2021). Il s’agit d’un territoire rural de moyenne montagne, de faible densité (23 habitants au km2). Le territoire est formé par deux massifs : le Livradois à l’ouest et le Forez à l’est qui sont séparés par la Vallée de la Dore. L’altitude varie de 520 mètres à 1 100 mètres dans les Monts du Livradois et jusqu’à 1 634 mètres dans les Monts du Forez.

 

La rivière Dore parcourt la vallée du sud au nord

Le réseau d’eau est construit sur un massif granitique qui ne permet pas de la stocker en profondeur. Le débit des sources est dépendant de la pluviométrie. En 2022, la pluviométrie a diminué de moitié par rapport à 2021.

"La plupart des captages sont en surface", explique Jérôme Tournier, directeur du Pôle technique transfert de compétence eau potable et assainissement pour la Communauté de communes d’Ambert Livradois Forez. "Quand il ne pleut pas, les sources se tarissent vite, tout comme elles peuvent aussi remonter vite. Elles n’ont pas de masse tampon en profondeur." L’absence de neige a également affaibli les cours d’eau, restés à des niveaux aussi bas que pendant la période estivale.

Si le territoire qui n’est pas historiquement déficitaire en eau, ne connaissait pas de stress hydrique comme dans le sud de la France, il a néanmoins connu des alertes sur le secteur d’Arlanc et la rivière Dore.

L’Auvergne était le château d’eau de la France tant qu’il pleuvait.

Jérôme Tournier de la Communauté de communes d’Ambert Livradois Forez


Citernage dans le secteur d’Arlanc

L’offre d’eau devenant insuffisante durant l’hiver, un plan d’urgence a été mis en place. La commune d’Arlanc a investi dans l’achat d’un camion-citerne en février 2023 et est allée chercher de l’eau dans les communes voisines pour alimenter le château d’eau. Le réflexe de solidarité entre les communes a bien fonctionné, les communes voisines d’Arlanc ont mis à disposition l’eau gratuitement.

Une cinquantaine de foyers ont été privés d’eau entre dix et quinze jours. Des packs d’eau potable ont été distribués le temps d’installer le citernage. Des habitants ont manifesté leur mécontentement notamment sur les réseaux sociaux. Mais des actes de solidarité et des changements de pratique ont aussi été observés, des habitants se dotant de récupérateurs d’eau de pluie notamment pour l’utilisation des WC à double circuit.

Le territoire face au changement climatique

Après l’urgence, quelles actions ?

Passé la première urgence qui a été d’alimenter la commune et ses habitants en eau potable, mais aussi d’abreuver le bétail et d’assurer l’approvisionnement pour les industries, un plan d’action établi avec la préfecture a préconisé de chercher de nouvelles ressources.

"Le Mont Forez nous sépare de la vallée de la Loire. Identifier de nouvelles ressources et s'y connecter nécessiterait de prendre des mesures dans un avenir relativement lointain", explique Jean Savinel, maire d’Arlanc et vice-président de la Communauté de communes d’Ambert Livradois Forez.

Chercher de nouveaux captages nécessite d’importants investissements et la zone de répartition des eaux ne rend pas possible l’accès à de nouvelles ressources. Le maire souligne également que les réseaux d’eau, datant d’après la guerre, sont vétustes et responsables de beaucoup de fuites, comme sur l’ensemble du territoire français.

"Il faudrait accélérer le renouvellement du réseau mais l’ampleur du chantier et la charge financière sont conséquentes. Car même si l’Etat subventionnait 80 % des travaux de rénovation, 20 % resteraient à la charge des collectivité, ce qui entraînerait une augmentation du prix de l’eau pour les usagers", précise Jérôme Tournier.  Ajouter à cela le transfert de la compétence eau des communes aux communautés de communes prévu en 2026, et le risque de retarder l’engagement et les investissements dans la rénovation est réel.

Certaines communes commencent à définir une stratégie afin de mener des travaux avant le transfert de compétence. La modernisation du réseau et la pause de nouveaux compteurs sont des mesures à mettre en place. Les espaces fleuris et les bassins aqua-récréatifs sont à repenser.

Économiser l’eau, mutualiser et se solidariser deviennent des axes prioritaires

Delphine Girault, du Parc naturel régional Livradois-Forez


La population doit être informée de la situation

Les habitants, les éleveurs bovins, les industries, tous se sont retrouvés au pied du mur. L’industrie est le deuxième plus gros préleveur d’eau, même si une partie est restituée. Les industries du médicament comme Sanofi-Aventis ont besoin de beaucoup d’eau potable, comme c’est aussi le cas de l’usinage, du laminage, de la coutellerie, de la chimie, de la papeterie. Le bassin aqua récréatif de la commune d’Arlanc est désormais fermé.

Économiser l’eau, mutualiser et se solidariser deviennent des axes prioritaires pour faire face à un phénomène lié au réchauffement climatique.  La question se pose du volume d’eau prélevable, en fonction de l’équilibre du milieu et des besoins.

Le SAGE (schéma d’aménagement et de gestion de l’eau) mis en place le 7 mars 2014, constitue un outil et un levier pour agir et faire un état des lieux des ressources pour apprendre à les partager, en partant du milieu.

"Nous avons tous besoin de monter en compétence en partageant d’avantage les notions sur le cycle de l’eau" explique Delphine Girault, responsable du pôle Grand cycle de l’eau du bassin versant de la Dore au Parc naturel régional Livradois-Forez. Comprendre ce qu’est un milieu aquatique, comment il contribue au cycle de l’eau et perdure.

Restaurer le milieu

Une rivière a besoin d’une eau de qualité, sans trop de nitrate, mais aussi d’un habitat varié pour la biodiversité, d’ombrage, donc d’arbres pour ne pas trop se réchauffer, de sous berges, de cavités, de racines, de micro algues, de courant, de sable, de cailloux.

"Notre rôle est de réduire les pressions anthropiques sur le milieu afin de préserver son équilibre", explique Sébastien Bret, chargé de l’entretien des cours d’eau et du suivi des milieux aquatiques au Parc naturel régional Livradois-Forez. " Nous pouvons agir en restaurant les cours d’eau mais aussi les berges, cette zone que l’on appelle la ripisylve où se concentrent la végétation et l’habitat et qui entrent en jeu dans l’équilibre du milieu. Nous devons restaurer la biodiversité. Avec l’intensification de l’agriculture de nombreux aménagements ont déstructuré les milieux, puis la déprise agricole, a été l’occasion de développer la filière bois et seuls des résineux ont été plantés. Planter une seule espèce ne favorise pas l’équilibre de l’écosystème des cours d’eau. Nous savons par contre que les tourbières agissent comme des épongent qui stockent l’eau. Nous travaillons avec les propriétaires des berges pour mettre en place ces travaux de restauration."

Bilan et perspectives

Des diagnostics techniques, un état des lieux, des suivis hydrologiques vont permettre de calculer les besoins en ressource dans une perspective de réchauffement climatique. 

"Nous menons une l’étude dans le cadre du Projet de territoire pour la gestion de l’eau au service d’une agriculture durable (PTGE)", précise Delphine Girault. Financée par l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse, elle se déploie en quatre volets : l’hydrologie, le milieu, les usages et le climat. "Nous allons dans l’avenir devoir créer de la solidarité entre l’amont et l’aval et l’aval et l’amont du bassin versant".

Avoir conscience que l’eau est une ressource prioritaire "est sans doute un mal pour un bien, ajoute Jérôme Tournier. Personne n’avait vécu ce que cela signifie ne plus avoir d’eau potable au robinet ni même pensé que cela pouvait arriver. Les enjeux économiques passent souvent avant tout le reste. Or l’eau, c’est la vie".

 

[Page créée en octobre 2023]